Interview-Marie-Monique-Robin
Interview Marie-Monique Robin
Rencontre avec Marie-Monique Robin
« Préserver la biodiversité, le seul recours pour notre santé »
Journaliste, réalisatrice et lauréate du prix Albert-Londres (1995), Marie-Monique Robin est l'auteure de nombreux documentaires et ouvrages dont "Le monde selon Monsanto" et "Notre poison quotidien". Elle nous a accordé un entretien pour parler de son dernier livre « La fabrique des pandémies » et de son film éponyme en cours de tournage.
Dans votre livre on découvre l'expression « épidémie de pandémies ». De quoi s'agit-il ?
Marie-Monique Robin : Mon livre est fondé sur l'interview de 62 scientifiques de cinq continents et de disciplines très différentes : des virologues, infectiologues, vétérinaires… Ce que j'ai découvert en les interrogeant c'est que l'augmentation du nombre de maladies infectieuses émergentes (MIE), dont fait partie la COVID-19, s'accélère, passant d'une nouvelle maladie tous les 15 ans en 1970 à 5 par an depuis ces dernières années. La liste de ces épidémies est très longue. Parmi les plus connues on peut citer le virus Ebola de 1976 qui a émergé en Afrique, létale dans 60 à 80 % des cas, dont une nouvelle épidémie s'est déclarée récemment. Le premier SARS (coronavirus) de la même famille que la COVID-19 est apparu en 2003. Selon ces scientifiques nous entrons donc dans une épidémie de pandémies et dans une ère de confinements chroniques.
Les scientifiques ont déjà alerté sur l'émergence de ces maladies infectieuses. « Ils savaient » pour reprendre vos propos. Pourquoi ne les a-t-on pas écoutés ?
MMR : Les scientifiques savaient que ces épidémies pouvaient arriver à tout moment. Des centaines d'études montrent le lien entre la biodiversité et les MIE, en particulier les maladies zoonotiques, transmises de l'animal à l'homme. Le vrai problème est que ces études sont peu connues parce qu'elles mentionnent surtout des MIE qui concernent les pays du Sud. Il a fallu attendre le Sida et son apparition aux Etats-Unis, alors qu'il circulait déjà, pour que les pays du Nord commencent à s'y intéresser. L'autre problématique, selon les scientifiques que j'ai interviewés, est que l'écologie de la santé est un mécanisme difficile à comprendre. Comment en abattant un arbre en Guyane, peut-on provoquer une maladie à l'autre bout du monde ? Il est plus simple de se dire qu'un virus nous menace, comme c'est le cas aujourd'hui, et de trouver un vaccin. Or ce n'est pas le bon moyen à long terme pour éviter une autre pandémie. Pour les scientifiques, nous dépendons de la biodiversité pour vivre. Sa destruction est à l'origine de l'émergence de ces MIE.
Dans votre livre le lien entre la destruction de la biodiversité, l'émergence de ces maladies et l'activité humaine est clairement identifié. L'Homme est-il le seul responsable ?
MMR : L'activité humaine est la seule responsable de cette destruction de la biodiversité et donc de la survenue de zoonoses. Les chercheurs ont identifié les facteurs qui contribuent à cette émergence. La destruction des forêts primaires (Amérique du sud, Asie ou Afrique) provoque une intrusion des humains dans des espaces jusque-là protégés, caractérisés par une grande biodiversité d'animaux sauvages, de plantes mais aussi d'agents pathogènes qui agissent à bas bruit. Ces agents deviennent alors dangereux pour l'homme. L'élevage intensif permet quant à lui d'amplifier ces zoonoses. Rongeurs, primates, chauves-souris sont les principaux réservoirs d'agents potentiels en virus, bactéries... Cependant ces maladies ne « sautent » pas d'un animal sauvage à l'homme. Un animal intermédiaire est nécessaire, comme le porc avec lequel nous partageons 95 % de nos gênes. La globalisation permet ensuite à un virus local de gagner le bout du monde le temps d'un long courrier.
Comme avec le virus Nipah ?
Le virus Nippah est un très bon exemple de maladie émergente. A la fin des années 90, s'opère la déforestation pour l'implantation de monocultures de palmiers à huile. Les chauves-souris sont obligées de s'enfuir avec la destruction de leur habitat. Frugivores, elles vont trouver de la nourriture dans une exploitation intensive de manguiers au milieu de fermes porcines industrielles. Elles sont stressées, excrètent les virus dont elles sont porteuses et contaminent alors les cochons qui contaminent à leur tour les ouvriers agricoles. Le virus Nipah se déploie ensuite avec l'exportation de la viande de porc.
Comment avons-nous pu mésestimer ce risque à ce point ?
La biodiversité est encore une cause à construire, comme le climat il y'a une vingtaine d'années. Nous sommes dans une phase que j'appelle « biodiv-sceptique ». Certains politiques rejettent l'idée selon laquelle il existe un lien entre pandémie et biodiversité, comme Luc Ferry, ancien ministre de l'éducation et de la recherche, qui considère que ce lien « relève du surréalisme, pas de la science ». On a longtemps pensé que la biodiversité était une ressource dans laquelle on pouvait puiser sans fin de manière intensive et incontrôlée sans se préoccuper de la suite. Un comportement décrit par les scientifiques comme étant prédateur. Aujourd'hui les ressources naturelles s'épuisent, les écosystèmes sont dans un état lamentable, menacés, pollués, de même pour les ressources aquatiques. Nous entrons dans la 6e extinction des espèces avec 1 million d'espèces menacées. Seulement 3 % des océans ne sont pas touchés par l'Homme. Nous sommes dans une situation d'urgence. Nous devons prendre conscience que nous dépendons d'elle pour vivre. Si elle disparaît, nous disparaissons avec elle.
Pouvez-vous expliquer ce qu'est l'« effet dilution » ?
MMR : C'est capital, personne n'en a jamais parlé. Je l'ai moi-même découvert en commençant mon enquête. Ce mécanisme, mis au jour par ces scientifiques, montre que la biodiversité a un rôle de régulation des maladies. Lorsqu'on fragmente une forêt, les prédateurs et les rongeurs « spécialistes », qui ne mangent qu'un certain type de nourriture, disparaissent. En revanche les rongeurs « généralistes », porteurs d'agents pathogènes, prolifèrent. Aux Etats-Unis, des chercheurs ont montré que le réservoir de la bactérie qui transmet la maladie de Lyme aux tiques qui peuvent à leur tour infecter les humains est la souris à pattes blanches. La déforestation fait que les tiques vont plus souvent tomber sur ces rongeurs « généralistes », ce qui augmente le risque infectieux. Il est donc important de maintenir l'intégrité des forêts et les mammifères qui y vivent pour que ces agents pathogènes continuent d'opérer à bas bruit. La biodiversité dilue donc le risque. On le constate aussi dans d'autres domaines comme en agriculture, comme je l'explique dans mon livre.
Est-il encore possible d'agir et si oui comment ?
Oui et c'est urgent. Il faut comprendre les causes de ces maladies, écouter les scientifiques qui connaissent les facteurs d'émergences et prendre de vraies mesures pour éviter que de nouvelles épidémies arrivent et soient plus meurtrières. Toutes les disciplines doivent travailler ensemble pour développer une vision globale qui repose sur le fait qu'on ne peut dissocier la santé des écosystèmes, des animaux sauvages et domestiques et la santé des humains. Pour l'heure la transdisciplinarité n'est pourtant pas du tout encouragée par les organismes de recherche et de financement. C'est pareil dans les ministères, par exemple agriculture et santé doivent être reconnectés. Les citoyens ont aussi un rôle à jouer dans la santé par la manière dont ils agissent sur leur environnement, sur leur consommation et aussi par solidarité avec les plus vulnérables. Toutes les activités humaines doivent être reliées entre elles pour travailler ensemble afin de relever les défis de l'anthropocène. Sans ça, on va vers l'effondrement, c'est ce que me disent les scientifiques. Les études montrent aussi que plus il y a de nature dans l'environnement des enfants plus ça leur permet de stimuler leur système immunitaire et leur microbiote. Réintroduire la biodiversité et faire en sorte que nos enfants soient en contact avec elle, permet de les protéger de maladies chroniques, facteurs de comorbidité de la COVID-19. Je ne m'attendais pas à faire le lien entre ces deux « fardeaux sanitaires » que sont les maladies chroniques et le risque infectieux dû à l'émergence de ces nouvelles maladies.
« La fabrique des pandémies » c'est aussi un film en cours de tournage. Où en êtes-vous de ce projet ?
MMR : Au départ je n'avais pas mesuré à quel point la biodiversité est indispensable. Puis je me suis dit que c'était important, qu'il fallait en faire un film. Pour ce tournage, on a choisi de faire appel à des partenaires de différents secteurs qui soutiennent le film de manière non-lucrative, ce qui est rare dans le domaine de la production. L'idée est que ce documentaire devienne à terme un bien commun qui transmet les paroles percutantes des chercheurs nous encourageant à préserver la biodiversité. Même les citoyens peuvent soutenir ce projet grâce au financement participatif. Pour l'instant nous avons 60 % du budget nécessaire à la réalisation du film. On se bat pour pouvoir aller interviewer des chercheurs du monde entier. C'est très compliqué en ce moment. On espère que le film pourra sortir en 2022 !
Quel rôle attribuez-vous à une fondation de soutien à la recherche comme la nôtre ?
MMR : Il est important que des fondations comme la Fondation Santé Environnement permettent le soutien de projets scientifiques transverses qui sont très peu financés car ils n'entrent dans aucune case pour les agences de financement de la recherche. Seules les fondations peuvent ouvrir la voie. Elles s'engagent pour soutenir la recherche scientifique notamment de projets innovants comme la découverte du lien entre la santé et la biodiversité. C'est précieux. On a besoin d'elles pour contribuer à la recherche indépendante.
Pourquoi ce film, regardez cette vidéo : https://vimeo.com/470865049